Le dernier roman de Laurent Binet, « Civilizations« , contient la scène d’une description vivante d’un conquérant et d’un monde conquis.
Un cas imaginaire. Des Incas du Pérou envahissant l’Europe du XVIe siècle, et non l’inverse. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé en 1532, et qui a poussé Binet à l’écriture.
Une tranche d’Histoire
Il y a quelque chose de mélancolique dans mon livre.
Le fait est que les Incas, comme de nombreuses autres populations autochtones, ont été tués et exploités, a ainsi déclaré Binet.
C’est ce que j’aime et ce qui me terrifie. Vous pouvez penser à ce que vous aimez dans le passé, mais vous ne pouvez pas le changer.
Binet, 49 ans, s’est fait un nom en écrivant des romans historiques brouillant les frontières entre réalité et fiction.
Sa première production, « HHhH », traduite en 34 langues (dont l’anglais en 2012), mélange histoire, fiction et autobiographie pour explorer les événements entourant l’assassinat du leader nazi Reinhard Heydrich. Il poursuit en 2015 avec « La septième fonction du langage », un meurtre-mystère se déroulant dans les années 1980. Le magazine français L’Express le nomme alors « le roman le plus concluant de l’année ».
Farrar, Straus et Giroux publieront « Civilisations » aux éditions Grasset en France en 2019. Puis aux États-Unis le 14 septembre. Il remportera le Grand Prix du Roman, prix littéraire annuel décerné par l’Académie française, en 2019. Et pourrait bien être adapté en série télévisée multilingue en Amérique du Sud et en Europe. Bravo !
Un auteur imprévisible
Sam Taylor, qui a traduit les trois romans du français vers l’anglais, loue « l’imprévisibilité » de Binet en tant qu’auteur.
Ce qui unit plus que tous les romans de Laurent, c’est la volonté de pousser la couverture des possibilités qu’offre la fiction. Il y a une sorte de fanfaronnade et d’audace. Une ambition enjouée et un frisson sec qui soutient le tout et l’empêche de se laisser distraire.
Binet déclarera que l’inspiration pour « Civilisations » lui sera venue après avoir été invité à la Foire internationale du livre de Lima en 2015.
À cette époque, je ne savais pas comment les Incas s’étaient éteints.
De retour à Paris, son demi-frère lui apporte un exemplaire du livre de Jared Diamond « Guns, Germs and Steel », qui contient un chapitre sur la façon dont Francisco Pizarro et ses hommes ont capturé le dernier empereur Incas Atahualpa.
Diamond se demande pourquoi Pizarro est venu capturer Atahualpa au Pérou. Et non pourquoi Atahualpa est venu capturer Charles V en Espagne. Cette phrase m’a inspiré, et j’ai pensé : Pourquoi ne pas raconter cette histoire à la place ?
Lors de la sortie de « Civilisations », plusieurs critiques comme Lise Wajeman chez Mediapart et Frédéric Werst chez En Attendant Nadeau, se demandèrent si Binet avait attribué aux Incas une volonté de conquête de l’unicité européenne. Mais Binet est convaincu que ce n’est pas le cas.
L’envie de partir n’est pas toujours européenne. Elle est universelle.
Binet en tient pour preuve la construction des empires mongol et aztèque.
Une conquête romancée
Dans son livre, cependant, Binet montre les Incas conquérant beaucoup plus avantageusement que leurs homologues européens. Atahualpa est connu comme le « Défenseur des pauvres » pour ses politiques d’équilibre. Les Incas sont profondément attristés par l’Inquisition espagnole, malgré leur propre tradition de sacrifice humain.
Je suis encouragé par le renversement de perspective et d’attitudes. Montaigne l’a très bien résumé en écrivant : « Nous appelons tous barbares des choses contraires à nos propres habitudes. »
Influencé par l’amour de son père, professeur, pour l’histoire, Binet grandit au rythme d’histoires factuelles sur la Première et la Seconde Guerre mondiale. Des bribes qui l’auront fait rêver.
Vers l’âge de 12 ans, son père lui parle des deux parachutistes, slovaque et tchèque, qui ont assassiné Reeshard Heydrich, un officier de la Gestapo en 1942.
Durant ses jeunes années, son amour du surréalisme le conduit à son premier livre, « Forces et Faiblesses de Nos Muqueuses ». Un mélange de prose et de poésie publié en 2000, mais qui n’est plus imprimé.
C’est un peu plus tard que Binet prend conscience de l’importance des « creusets culturels », à travers lesquels différents domaines créatifs s’ouvrent à l’influence des uns et des autres.
Il est clair que les cinéastes s’inspirent de la littérature et de la peinture. Et que les peintres s’inspirent des écrivains.
Un touche à tout, encore loin d’être allé au bout de ses inspirations. Et qui nous montre, à travers « Civilisations », la tristesse liée à la manière dont l’histoire se répète.

Né en 1965 à Toulouse, Bernard Duteil est un journaliste reconnu et respecté pour sa rigueur, son analyse pénétrante et son engagement indéfectible pour la vérité. Fils d'une enseignante et d'un avocat, il a grandi dans une atmosphère où l'importance de l'éducation, de l'éthique et de la justice étaient profondément enracinées.
Après avoir obtenu son baccalauréat en sciences humaines, il est entré à l'Université de Toulouse Jean Jaurès où il a obtenu une licence en communication et journalisme. A la fin de ses études, Bernard s'est lancé dans un voyage autour du monde qui a duré un an, nourrissant sa curiosité insatiable et forgeant sa perspective globale.
Bernard a fait ses débuts journalistiques au "Nouvel Observateur", où il s'est rapidement distingué par son style d'écriture incisif et sa capacité à explorer en profondeur des sujets complexes. Par la suite, il a travaillé pour "Le Monde", où il a couvert des sujets allant de la politique internationale à la culture, avant de rejoindre "France Info" puis se dédier à l'écriture de pige pour plusieurs rédactions dont NewsFrance.org