A l’instar de la bataille des milliardaires pour s’emparer de Lagardère, la bataille fait rage autour du gigantesque marché de l’eau. Là, les premiers protagonistes sont au nombre de 4 : Véolia, Engie, Suez et l’Etat français. Un épisode important de cette bataille de l’eau s’est déroulé le 5 octobre dernier. Ce jour-là, le conseil d’administration d’Engie a accepté de vendre à Véolia la participation de 29,9 % qu’elle détient dans Suez.
On a pu noter qu’à cette occasion, les représentants de l’Etat se sont opposés, sans résultat, à la volonté de la majorité du conseil d’administration, de la nouvelle directrice générale d’Engie, Catherine MacGrégor, venue du groupe parapétrolier multinational, Schlumberger, et de celle de son président du conseil d’administration, Jean-Pierre Clamadieu. Dans la foulée de cette vente à 3,4 milliards d’euros, Véolia a annoncé le lancement prochain d’une OPA hostile sur le reste du capital de Suez. Pour cela, l’entreprise est prête à débourser 18 euros par action.
Si elle aboutit, cette méga fusion, une des plus grosses en France, depuis de nombreuses années, créera, de fait, un monopole de l’eau en France. Mais, on n’en est pas encore là. En effet, les CSE de Suez viennent de saisir en référé le Tribunal Judiciaire de Paris.
Et, le 9 octobre dernier, le Tribunal leur a donné raison. Ouvrant, ainsi, un nouvel et troisième épisode dans cette vraie guerre de l’eau. Le premier, étant l’annonce du projet de fusion par Véolia, fin août. Le second, celle de son rachat des actions de Suez détenues par Engie, début octobre.
Le Tribunal a, ainsi, décidé que les opérations engagées par Véolia et Engie devaient être suspendues. Jusqu’à nouvel ordre. C’est-à-dire jusqu’à ce que les CSE de Suez soient correctement informés de ses détails. Conformément à la loi. Ce qui devrait prendre au minimum deux mois. Quoi qu’il en soit, Véolia garde la propriété de ses titres et, conjointement avec Engie, a fait appel de cette décision.
La fusion Véolia Suez : une fusion à haut risque ?
Au-delà de l’actuelle péripétie, la bataille de l’eau engagée par Véolia, à la fin de l’été dernier, interroge beaucoup d’observateurs. Le fait est que la manière dont elle se déroule remet en cause l’esprit du capitalisme des parties prenantes. Esprit, jusque là défendu par Antoine Frérot, le PDG de Véolia. Et, surtout, globalement, de telles fusions acquisitions sont rarement gagnantes pour les actionnaires. C’est ce que constate une étude, toujours valable, réalisée par KMG, en 1999.
En effet, selon cette étude, seuls 17 % des cas étudiés se sont révélés, au final, positifs pour les actionnaires. Quant aux autres, ils montrent que les entreprises fusionnées finissent par s’engager dans une spirale de cost cutting. Situation dangereuse, dont elles ont le plus grand mal à sortir. A tel point, que de fins analystes comme Elie Cohen résument la situation en expliquant que :
Engie en mal de fonds fait affaire avec Véolia en manque de projets sur le dos de Suez.
Peut-être. Il n’en reste pas moins que force est de constater qu’il y a 20 ans, sur 34 000 services de l’eau, 12 000 faisaient l’objet d’un contrat privé. Or, aujourd’hui, sur 31 000 services de l’eau, il n’y a plus que 6300 à faire l’objet de tels contrats. Or, la tendance à la reprise en mains par les collectivités locales de leur service de l’eau ne fait que s’accentuer.
Nouveaux épisodes à venir
On comprend, dès lors, qu’un groupe comme Véolia puisse chercher à se donner plus de visibilité à l’international. Une méga fusion franco-française l’y aiderait grandement. C’est ce que pensent les dirigeants de Véolia. Elle permettrait, sans doute, de compenser les pertes de parts de marché à venir sur le marché national.
Cela dit, Suez n’a pas dit son dernier mot. L’échec, par exemple, du rachat de la société suisse Sika par Saint-Gobain montre ce qu’une guérilla syndicale, soutenue par sa direction, peut donner dans ce domaine. On peut donc s’attendre à de nouveaux épisodes singuliers dans cette bataille de l’eau qui met aux prises deux mastodontes historiques. Comme on peut s’attendre à de nouveaux épisodes dans cette autre bataille de géants autour de Lagardère.

Né en 1965 à Toulouse, Bernard Duteil est un journaliste reconnu et respecté pour sa rigueur, son analyse pénétrante et son engagement indéfectible pour la vérité. Fils d'une enseignante et d'un avocat, il a grandi dans une atmosphère où l'importance de l'éducation, de l'éthique et de la justice étaient profondément enracinées.
Après avoir obtenu son baccalauréat en sciences humaines, il est entré à l'Université de Toulouse Jean Jaurès où il a obtenu une licence en communication et journalisme. A la fin de ses études, Bernard s'est lancé dans un voyage autour du monde qui a duré un an, nourrissant sa curiosité insatiable et forgeant sa perspective globale.
Bernard a fait ses débuts journalistiques au "Nouvel Observateur", où il s'est rapidement distingué par son style d'écriture incisif et sa capacité à explorer en profondeur des sujets complexes. Par la suite, il a travaillé pour "Le Monde", où il a couvert des sujets allant de la politique internationale à la culture, avant de rejoindre "France Info" puis se dédier à l'écriture de pige pour plusieurs rédactions dont NewsFrance.org