Le visage du rival le plus féroce du président Emmanuel Macron ne figure sur aucune affiche de campagne. Il n’a pas prononcé un seul discours. Son nom ne figurera pas sur le bulletin de vote.
Il n’est pas du tout candidat, et pourtant. Vincent Bolloré, milliardaire à l’empire médiatique conservateur, a compliqué le chemin soigneusement tracé par Macron vers sa réélection en propulsant la candidature d’extrême droite d’Éric Zemmour.
A un mois du premier tour
A un mois du premier tour de l’élection présidentielle, les sondages montrent Macron comme favori. Pourtant, c’est bien Zemmour qui a défini les thèmes de la course en exposant ses opinions à la télévision au cours des deux dernières années.
Les chaînes de Bolloré ont largement créé Zemmour,
déclarait François Hollande dans une interview.
Une émergence qui n’est que le dernier exemple du pouvoir des magnats des médias français. Dans un pays où les lois sur le financement de campagne sont très strictes, le contrôle des médias d’information a longtemps fourni aux très riches un moyen d’influencer les élections.
Si vous êtes milliardaire, vous ne pouvez pas financer entièrement une campagne. Mais vous pouvez acheter un journal et le mettre à la disposition d’une campagne.
Dans la longue période qui a précédé la campagne actuelle, la compétition pour l’influence a été particulièrement frénétique. L’émergence de Bolloré, en particulier, a intensifié les manigances en cette saison électorale. En transformant les propriétés médiatiques en organes d’information défendant un programme de droite dure.
Le phénomène est nouveau dans le paysage médiatique français. Et a suscité de vives bousculades entre milliardaires. D’un côté notamment, Bolloré et son groupe de médias, Vivendi. De l’autre, les alliés de Macron dont Bernard Arnault, le chef de l’empire du luxe LVMH.
Une influence qui fait débat
La portée politique des magnats des médias est devenue suffisamment préoccupante pour que le Sénat français ouvre une enquête. Lors d’auditions retransmises en direct en janvier et février, tout motif politique a été réfuté. Monsieur Bolloré déclarera plutôt que ses intérêts étaient « purement économiques. » Tandis que Monsieur Arnault comparait ses investissements dans les médias d’information à du « patronage. »
Il ne fait cependant aucun doute que leurs participations dans les médias leur donnent un effet de levier que les lois françaises sur le financement des campagnes électorales leur refuseraient autrement. En France, les publicités télévisées politiques ne sont pas autorisées dans les six mois précédant une élection. Les dons des entreprises aux candidats sont interdits.
Les dons personnels à une campagne sont quant à eux limités à 4 600 euros. Dans ce cycle électoral, les candidats à la présidentielle ne peuvent pas dépenser plus de 16,9 millions d’euros chacun pour leur campagne du premier tour. Les deux finalistes sont ensuite limités à 22,5 millions d’euros chacun. En comparaison, lorsqu’il était candidat à la présidence, Joseph R. Biden Jr. a levé plus d’un milliard de dollars.
Armés de propriétés médiatiques, les hommes d’affaires jouissent désormais d’une influence sur les politiciens.
Les politiques ont toujours peur que les journaux tombent entre des mains hostiles,
admet Claude Perdriel, principal actionnaire de l’hebdomadaire Challenges.
Pour Macron, c’est ce qu’il s’est passé en début d’année. Jérôme Béglé a repris le Journal du Dimanche, autrefois pro-Macron. Après quoi Bolloré a pris le contrôle de la maison mère du journal, pour publier des articles critiques et des photos peu flatteuses du président.
Bien que peu lu, le journal bénéficie d’un suivi parmi l’élite politique et économique française. Et d’un rôle d’agenda.
C’est l’un des deux ou trois journaux les plus influents,
a déclaré Gaspard Gantzer, porte-parole présidentiel sous Hollande.
Mais c’est par le biais de CNews, créée en 2017 après son rachat du réseau Canal Plus, que Bolloré continue d’étendre son influence dans les dernières lignes de campagne. Grâce à sa capacité à façonner le débat national autour de questions telles que l’immigration, l’islam et la criminalité, CNews est rapidement devenue une nouvelle force politique. Faisant d’Eric Zemmour, journaliste et auteur à succès, une star.
La riposte En Marche
Nous sommes évidemment assez inquiets de la ligne éditoriale de ce type de médias,
a déclaré Sacha Houlié, député et porte-parole de la campagne de Macron. « Nous gardons un œil dessus. »
Pour autant, Macron n’est pas sans alliés. Arnault et Xavier Niel, magnat des télécommunications, ont tous deux exprimé publiquement leur soutien au président dans le passé.
Arnault possède notamment Les Echos, premier journal économique du pays, et Le Parisien. Il a également engagé une confrontation avec Bolloré dans une longue et interminable bataille pour le contrôle du groupe de médias en difficulté, Lagardère.
C’est finalement Bolloré qui reprendra le contrôle de Lagardère. Et sa radio, Europe 1, se transformera rapidement en une version audio de CNews.
Désireux également de racheter M6 l’année dernière, le gouvernement se rangera plutôt du côté de l’un des concurrents de Bolloré. Bouygues, propriétaire de TF1. Officiellement pour créer un contrepoids à Canal Plus.
Un rachat avorté peut-être, mais c’est bien Bolloré qui a le plus d’effet sur la campagne de cette saison.
Il a permis la création d’une candidature Zemmour,
déclare Alexis Lévrier, historien des médias à l’Université de Reims. « Ce qui rend le scénario de cette campagne fascinant et effrayant. »